À l’heure où j’écris ces lignes, 10 946m me séparent du sol, ou plutôt de l’Océan Atlantique que nous survolons pour rejoindre la Guadeloupe. Il paraît qu’aucune balise GPS ne permet de localiser un avion qui survole cette gigantesque étendue bleue. La position de l’avion est estimée grâce à une trajectoire préalablement établie permettant d’imaginer où se situe (environ) l’appareil toutes les 10mn. Il est plutôt étrange de se représenter cette réalité.
Je suis donc, à cet instant, suspendue dans les airs sans qu’aucune technologie ne puisse précisément affirmer la position GPS à laquelle je me trouve. Excitant et inquiétant à la fois n’est-ce pas ? Quoiqu’il en soit je serai sur la terre ferme lorsque vous me lirez puisque j’ai besoin d’une connexion Internet pour poster cet article 🙂
Nous voilà donc repartis du sol métropolitain. Pour une dizaine de mois cette fois à en croire notre planning et budget estimatifs qui nous autorisent un retour vers le mois d’octobre. Je sais d’ores et déjà que ce retour sera bien différent de celui que nous venons de vivre pour 15 jours de festivités en famille et entre amis.
22 septembre – 21 décembre 2016. 3 mois. Angleterre. Irlande. Nous (ne) sommes partis (que) 3 mois. Et déjà une nouvelle personne est née en moi. Je ne parlerai ici que de moi et non de Simon qui change lui aussi mais singulièrement comme tout individu qui fait un jour le choix de vivre une année « différente ».
Hier, dans le TGV qui nous a déposé à la Gare Montparnasse, je pensais aux 9 dernières années de ma vie passées à Paris. Aucun regret mais un grand soulagement d’avoir quitté cette ville musée, qui malgré les tragiques événements de ces deux dernières années, fait encore rêver les touristes du monde entier. Pourtant, mes amis ici me manquent et la nostalgie de ma vie étudiante puis de « jeune cadre dynamique » résonne déjà en moi quelques mois seulement après être partie.
Au sortir du train, je remonte l’Avenue du Maine, maintes et maintes fois parcourue pour rejoindre tantôt la fac, le boulot, les copains aux quatre coins de Paris. Simplement cette fois j’ai mon sac de back-packer sur le dos et je sais au fond de moi que je ne suis qu’une touriste de passage. À quelques tous petits kilomètres de moi se trouvent certains de mes amis les plus proches, mes anciens collègues de travail et clients, une poignée de commerçants côtoyés quotidiennement ou presque. Et tant de lieux que j’ai aimés. Tant de théâtres, musées, salles de spectacles et de concerts, pubs, bars, restaurants, boui-boui, rues, ruelles, passages pavés, parcs, jardins, avenues majestueuses, notre club de plongée aussi, repère de tous les lundis soirs, défouloir de bien des journées de stress si caractéristiques de l’effervescence parisienne. Et moi, là tout de suite, je suis dans ma bulle, celle du voyage. Je suis si proche physiquement, si loin mentalement de tous mes souvenirs. Heureusement, je ne suis là que pour quelques heures, le temps d’un café avec Jacky, propriétaire de notre ancien QG, avant de grimper dans le Orlybus qui nous déposera à l’aéroport. Plus de temps nous aurait obligés à choisir quels amis et quels lieux visiter, un choix impossible à cet instant précis.
Inévitablement, nous passons devant notre appartement, le premier de notre vie d’amoureux, celui qui nous a permis à Simon et moi de nous retrouver après 7 ans de relation à distance. Ce 32m2, si sombre et humide, si charmant à la fois. Notre cocon, notre refuge, à l’abri de toute nuisance sonore, coincé entre une jolie ruelle pavée et une cour aux allures de mini forêt non entretenue. Nous n’en pouvions plus de ce tout petit espace et pourtant j’ai pleuré en le quittant l’été dernier. Un pincement au cœur me surprend de nouveau en nous arrêtant devant. Les volets sont clôts, impossible de savoir si les travaux prévus ont été réalisés et si un nouveau locataire l’a investi ou non. Je préfère ne pas savoir cela dit. Je me rappelle encore précisément de son aménagement et aime à imaginer que tout est encore en place à l’intérieur. Étrange sentiment de se sentir dépourvu de chez soi.
Voilà plus de 3 mois que nous n’avons plus d’adresse. La société, qu’elle soit française ou anglo-saxonne ne semble pas capable de s’adapter à ce type de situation. Il nous est arrivé plusieurs fois de devoir nous justifier car nous ne pouvions fournir aucune adresse à nous. Celles de nos parents bien sûr mais vous imaginez bien qu’après une décennie d’indépendance nous sommes devenus des invités chez nos parents et cela est bien normal. Parfois fière, parfois décontenancée à l’idée de ne plus avoir de chez moi, j’essaie toujours de faire bonne figure devant les personnes qui nous interrogent et, de fait, jugent notre voyage. Sans compter les chez-nous temporaires comme cette petite cabane dans le parc national du Connemara durant notre workaway à l’auberge, ou notre « bedroom with ensuite bathroom » si confortable avec vue sur mer chez Clodagh et Ryan près de Dingle. Des chez-nous malgré tout mais il n’empêche que les coups de blues existent. Ne pas pouvoir se rattacher à un endroit bien à soi, ne serait ce que dans l’imaginaire, s’avère extrêmement déroutant. Pire, cela oblige à penser à l’après soit un millier de questions auxquelles je n’ai pas de réponse aujourd’hui : où souhaitons nous habiter ? En ville ou à la campagne ? En appartement avec balcon ou dans une maison avec jardin ? Avec quel travail ? Dans quelle type d’entreprise ou activité ? Et pourquoi pas monter ma société ? Mais comment garder ma liberté et conserver du temps pour la famille que nous voulons créer ? Une multitude de questions existentielles et une myriade d’autres sans la moindre importance. Aurons-nous un chat ? Ou un chien ? Pourquoi pas des poules pour avoir des œufs frais ? Quelle couleur pour notre futur canapé ? Et la marque du lave-vaisselle ? Bref…
Quelle chance d’avoir le temps de penser à toutes ces décisions si importantes et si superficielles à la fois me direz-vous. Oui, une vraie chance, mais qui effraie autant qu’elle excite. Paris m’a permis de vivre tant de rêves et d’événements, de rencontrer tant de personnes plus formidables les unes que les autres, de me sentir chaque jour culturellement privilégiée. Mais elle m’a aussi empêché de réfléchir pendant 9 ans. Fin d’études, plan de carrière, premier boulot puis un second extrêmement riche et valorisant. La tête dans le guidon, des projets passionnants, des invitations à des shows incroyables, un bon salaire, des loisirs et des petits week-ends sans compter. Un luxe. Mais pas une seconde pour penser. Ni pour écouter les autres plutôt que de s’écouter parler. Juste la lucidité grandissante que quelque chose ne me convenait plus dans tout cela. Que la fatigue et le stress ne sont pas une fatalité et le prix à payer pour jouir de tous ces plaisirs urbains. Et puis la décision de tout quitter.
Aujourd’hui, je repense aux balades quotidiennes que nous avons faites en Irlande. En silence ou à échanger, avec Simon, sur toutes ces interrogations. L’expérience de vivre et voyager en travaillant sans gagner d’argent mais avec l’assurance du gîte, du couvert et d’un rapport à l’autre si différent. Être coupée de sa famille et de ses amis, s’en remettre à soi-même ou à sa moitié pour tout ce qui nous trotte dans la tête. Jamais je n’avais eu le temps de faire cela. Jamais je n’ai pu être aussi libre de mes choix d’avenir, de ce que je souhaite et surtout de ce que je ne souhaite plus.
De nos 3 mois de voyage je retiens bien sûr des milliers d’images, des dizaines de rencontres, des pensées alternatives, des jolis villages anglais emplis de bow-windows, des personnages aux allures improbables, l’odeur du feu de tourbe dans les pubs, du vert, partout du vert, celui de l’herbe, des collines, des montagnes, et puis des moutons, des paysages désolés et grandioses, la mer, omniprésente, la météo imprévisible, de longues randonnées presque pas balisées, des bourgades multicolores, des hôtes d’une gentillesse inouïe, des routes complètement défoncées, encore des moutons en plein milieu de la route, des erreurs de compréhension en anglais, les progrès réalisés pour s’exprimer aussi, grâce aux cours pris à Brighton notamment, la fondue suisse dégustée en compagnie d’un Écossais venu vivre en Irlande, la découverte de la nourriture anglo-saxonne, bien meilleure qu’on veut nous faire croire, les milliers de murs de pierre irlandais, le soleil qui ne grimpe jamais bien haut et se couche à 16h, les rafales de vent sur la plage, la beauté, partout, d’une nature encore préservée, la solitude aussi. Je pourrai écrire et décrire sans fin ce que nous avons vu et vécu et l’ai d’ailleurs déjà fait à nombreuses reprises sur ce blog. Mais ce que je voulais vous dire aujourd’hui c’est que ces trois derniers mois m’ont surtout permis de poser mon esprit et de redevenir maître de mes pensées et de mes décisions. J’apprends peu à peu à me rendre plus disponible dans l’échange avec autrui, écouter et être attentive. Attentive aux autres et à moi aussi, pour éviter de me laisser embarquer dans un nouveau train de vie qui ne me satisferait pas. Nous avons tous intérêt à nous poser ces questions, à prendre le temps de le faire, à vivre cela tout simplement. Et je ne peux que vous souhaiter d’en faire le choix. L’expérience a bel et bien démarré pour moi.
Rendez-vous dans 10 mois pour l’épilogue de ma pensée après une année complète de réflexion et de remise en question. Place à nos nouvelles aventures, en images et en mots, beaucoup plus légers cette fois 🙂
Bravo Manue,
C est très beau, profond et bien dit…
Et surtout ca le fait du bien.
Je ne suis pas en « voyage » mais je ressens exactement ce sentiment d année de césure dans mon expérience solitaire au Canada.
Après ca c est le grand saut vers la vie adulte. Et la se posent les vrais questions; qu est ce que je veux faire? Qui est ce que je veux être? Comment et où vivre mon épanouissement ?
Je vous embrasse très fort et j ai hâte de lire votre évolution et ne manquerai pas de vous dire La mienne… car un jour on rentre et tout commence… pour moi ce sera Juin… et rien n est encore décidé…
bisoussss
Marianne
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